« Breakthrough », c’est un compagnon fidèle pour les nuits blanches. Et dans ce monde saturé de playlists jetables, c’est déjà une victoire. Lew Ashby aurait adoré ce disque. Moi aussi. Même si je l’écoute seul, dans une chambre trop vide.
Il y a des disques qui sentent la route, les motels crasseux, les bouteilles vides qui traînent sur le siège passager. « Breakthrough », le dix-septième album studio de Joe Bonamassa, en fait partie. Produit par Kevin Shirley, enregistré entre Nashville, Los Angeles, la Grèce et même l’Égypte, c’est un disque de blues-rock comme on n’en fait plus, à l’ancienne, avec des guitares qui brûlent lentement et des chœurs qui vous caressent l’âme pendant que vous sombrez.
Bonamassa, c’est un peu le Lew Ashby de la six-cordes : éternel playboy du blues, producteur de ses propres démons, collectionneur d’instruments et de solos flamboyants. Sauf qu’ici, il a décidé de lever le pied sur la virtuosité. Pas de démonstration stérile. Non, « Breakthrough » choisit le chemin le plus risqué : celui des chansons. Des vraies. Avec des refrains, des histoires, des fantômes. La preuve avec “Broken Record”, sept minutes de lente dérive, un blues hanté, magnifique, où sa voix, souvent sous-estimée, prend enfin toute sa place. Il y a quelque chose de crépusculaire dans cette chanson, comme si Bonamassa acceptait enfin que la guitare ne peut pas tout dire. “Shake This Ground”, autre sommet, enfonce le clou : introspectif, cette chanson semble te dire « C’est comme ça...Continue mon vieux ». C’est le genre de morceau qu’on écoute seul, tard le soir, quand on se demande si l’amour qui nous échappe reviendra un jour. Mimie me manque, et Bonamassa me rappelle que je ne suis pas seul dans cette douleur...
Bien sûr, il y a aussi de la lumière. Le morceau-titre, “Breakthrough”, coécrit avec Tom Hambridge (Buddy Guy, ZZ Top), est un hymne Blues Rock/Country et résilient. Les chœurs, somptueux, portent la chanson vers une dimension quasi gospel. Et sur “Still Walking With Me”, Bonamassa se fait presque apaisé, comme un écorché fatigué mais debout. Les musiciens qui l’entourent font des merveilles : la section rythmique groove, et les choristes - oh, ces choristes ! Elles transforment chaque ligne en prière….
On a beau compter plus de cinquante albums à son actif (live compris) et vingt-huit numéros 1 au Billboard Blues, Bonamassa continue de surprendre. « Breakthrough » est un disque varié, voyageur, traversant les genres comme on traverse les fuseaux horaires en tournée. Du swing texan à la ballade acoustique, du blues crasseux au rock musclé, le tout avec une production impeccable qui sent autant le studio high-tech que la sueur des clubs enfumés.
Mais ne vous y trompez pas : ce n’est pas un disque pour impressionner. C’est un disque pour survivre. Un disque pour ces soirs où l’on n’attend plus rien, où l’on se raccroche à une guitare comme à une bouée. Joe Bonamassa n’est plus seulement le guitar hero qu’on applaudit pour sa virtuosité, il est devenu, enfin, un songwriter qui écrit pour les paumés, les insomniaques, les amoureux à la dérive. Pour nous ! Ou pour moi ?
Alors, "Breakthrough", un chef-d’œuvre ? Peut-être pas. Mais un compagnon fidèle pour les nuits blanches, oui. Et dans ce monde saturé de playlists jetables, c’est déjà une victoire. Lew Ashby aurait adoré ce disque. Moi aussi. Même si je l’écoute seul, dans une chambre trop vide.