Véritable OVNI musical surgit il y a maintenant quelques temps (et plusieurs albums), découverts pour ma part en live au HELLFEST 2018, ZEAL AND ARDOR est de ces groupes qui surprennent, se renouvellent, nous emmènent vers de nouveaux horizons tout en gardant son identité forte.
Alors que le groupe se prépare à nous faire découvrir son nouveau chapitre GREIF (sortie prévue le 23 août 2024), nous avons eu le plaisir d’interviewer non seulement Manuel Gagneux, compositeur, chanteur, guitariste et âme damnée du groupe, mais également Tiziano Volante (guitare), preuve s’il en était besoin de l’évolution constante du groupe …
Avant de se pencher sur l’aspect purement musical de ce nouvel opus, pouvez-vous nous parler de l’artwork de GREIF (prononcé « graïf » - on a vérifié pour vous auprès des concernés- ) qui a un côté très fort, martial même et qui d’une certaine manière fait écho aux tonfas de « Wake of a nation » ?
Manuel : Oui, j'aime les images simples et frappantes que l'on peut voir et reconnaitre de loin. Cette fois-ci, c'est le Vogel-Gryff, cette créature mythique de notre ville d’origine (Bâle en Suisse) . Elle est éclairée exactement de la même manière que les tonfas, par derrière, ça lui donne un air très uni. La photo a été prise par Marco, notre batteur et l'éclairage par Miro Vitmo. Mais c'était MON idée ! (rires).
Tiziano : Et c'est vraiment l'original, LE super vieux costume qu'ils utilisent pour la cérémonie.
Au-delà de l’aspect purement musical, votre œuvre permet de faire découvrir des éléments culturels (évènements, ou folklore) qui n’ont pas toujours la portée médiatique qu’ils méritent. Par exemple avec « Wake of a Nation », j’ai pu grâce à la chanson « Tuskegee » découvrir le scandale sanitaire. Là, votre album GREIF nous permet de découvrir le Vogel-Gryff. Symbole, là encore, qui vient s’opposer à l’oppression d’un groupe par un autre, thème que l’on retrouvait dans l’EP Wake of a Nation…
Manuel : Oui, c'est l'idée derrière tout ça. La musique que nous avons fait et les albums jusqu'à maintenant ont toujours été à propos de la diaspora noire et les luttes des peuples noirs. C'est simplement une forme de généralisation. C'est comme ouvrir la porte sur plus d'oppression (rires). Il y a une dimension didactique. Je n'ai pas l'arrogance de vouloir expliquer le monde aux gens, car je ne le connais pas tant que ça, mais si on peut partager de petits aspects, je crois que c'est une bonne chose.
Que pensez-vous de cette manière d’utiliser la musique ?
Manuel : C'est toujours à la discrétion de l'auditeur de savoir s'il veut en apprendre plus. Mais j'aime semer des éléments d'information et laisser le choix d'aller creuser et faire des recherches du genre « oh hey, c’est à propos de ça… » pour découvrir ce qu'il en est vraiment et finir par passer 18 heures sur wikipedia (rires).
C'est justement ce qu'on a fait pour Tuskegee car, bien entendu, en France on en a jamais entendu parler, les médias d’ici n'ont pas du tout communiqué dessus.
Tiziano : Je dirais que c'est très spécifique, ce n'est pas comme le carnaval qu'on a à Bâle qui est probablement plus renommé aux yeux du monde, car même s'il n'est pas réellement inclusif pour un observateur extérieur, il en a plus l'apparence. La tradition du Vogel-Gryff est bien moins connue. C'est vraiment pour le "petit Bâle" (« klein Basel »), le Bâle de la classe ouvrière. C'est une tradition qui leur permet de sortir et "emmerder le Bâle bourgeois". Ayant grandi avec cette tradition, c'était assez naturel de se tourner vers ce concept que l'on connait déjà.
(Petite précision : Le Vogel Gryff est une créature hybride mythique qui défile dans les rues pour les enfants, symbolisant les travailleurs de Bâle qui s'opposent à l'élite oppressive de l'autre côté.)
" Si je ne me trompe pas, le processus d’enregistrement mais aussi de composition a été assez différent cette fois-ci … pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Comment s’est passée l’intégration des autres musiciens dans le processus ? Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?
Manuel : Pour la composition, je pense que c'était assez similaire, c'était vraiment "moi et ma grotte". La différence ici est que chaque musicien sur scène joue son propre instrument et a eu son mot à dire sur l'interprétation pour l’enregistrement.
En live, on sonne beaucoup plus intense que sur les albums et je pense que c'était une bonne idée d'inclure tout le monde, leur permettre d'être partie prenante.
Tiziano : C'était intéressant de voir le processus d'adaptation de démos et de pistes brutes. Historiquement, on avait un album déjà masterisé et on travaillait à adapter ça pour la scène. Cette fois, on a eu cette phase avant la session d'enregistrement. C'était bien de pouvoir se familiariser avec les chansons et les éléments de compositions, puis nous avons échangé sur comment les interpréter et les finaliser.
Pour vous citer : "Alors que les albums précédents étaient plus des appels aux armes pour les communautés, celui-ci est une quête personnelle". Cependant, les albums précédents étaient composés et enregistrés seul alors que pour celui-ci le reste du groupe a été impliqué. N’y a-t-il pas une contradiction là-dedans ?
Manuel : Non, je pense que chaque album est personnel. Il y a un élément de confiance "voilà ce que j'ai créé, j'espère que ça va vous plaire, travaillons ensemble…". Mais ça doit forcément se produire, cette fois ça s'est juste produit à une étape différente. Maintenant, il y a plus de couleurs et de talents impliqués qui viennent enrichir le tout, donc c'est simplement un… meilleur produit, car on cherche à vendre plus ! (rires)
À ce jour vous avez sortis plusieurs extraits de ce nouvel album : « To my ilk » (très douce) et « Clawing out » (beaucoup plus énergique avec des riffs très lourds). Deux morceaux très différents, un peu comme pour brouiller les pistes plutôt que de donner un indice sur la direction de l’album. Pourquoi ce choix ?
Tiziano : En réalité, on a fait ça aux dés (rires).
Manuel : C’était exactement l’intention. On a réfléchi à ce qui représentait le mieux l’album, pour démarrer la campagne de promotion. C’est très disparate. Maintenant, on a établi les limites du spectre, tout est permis !
Nous vous avons vus la semaine dernière au MYSTIC FESTIVAL et le moins qu’on puisse dire c’est que c’était blindé, la dernière fois que vous êtes passés au HELLFEST (2022), le public débordait largement de la tente …. Je me souviens des premières interviews où tu disais être surpris du succès du groupe : Est-ce que cela t’étonne toujours autant aujourd’hui ?
Manuel : Absolument, oui, à 100%.
Tiziano : La seule chose qui est peut-être légèrement différente avec cet album est que l’on commence doucement à avoir confiance en nous-même et dans le processus. Là où, auparavant, on aurait pu se poser des questions ou éprouver une certaine anxiété vis-à-vis du déroulement des choses. Mais c’est plus une question d’avoir déjà fait ça deux ou trois fois, maintenant (rires). Je pense que nous avons trouvé comment fonctionner en équipe. Parce qu’au final, nous avons de nombreux composants qui nous permettent de nous tenir sur scène. La musique, bien sûr est la base et constitue les fondations pour ce que nous voulons représenter. Mais pour être réellement en mesure d’assurer sur scène et faire le show, ça demande beaucoup d’efforts sur différents aspects. On essaie de se renforcer personnellement et mettre nos faiblesses de côté, ou travailler dessus autant que l’on peut.
D’ailleurs « The Bird, the Lion and the Wildkin » intro de l’album, est particulièrement efficace en intro live comme on a pu le voir au Mystic Festival la semaine dernière. Est-ce que ça a vocation à devenir une chanson d’ouverture emblématique ?
Manuel : Je ne sais pas. On est toujours tellement terrifiés quand on arrive sur scène avec ça. Normalement, on a une boîte à rythme électronique et la mélodie *sifflote*. Et on se dit « j’espère que ça va le faire » (rire nerveux). Mais ça fait vraiment plaisir de t’entendre dire ça.
Tiziano : Bien sûr, on voit des vidéos et on aime bien s’autoévaluer jusqu’à un certain point, mais on ne peut pas savoir pour autant ce que ça fait d’être là (pendant le show). Pour nous, sur scène, c’est souvent « merde, il faut qu’on fasse des trucs, on est sur scène, on doit faire quelque chose. On ne peut pas ne rien faire, parce que le public ne va pas aimer ça ». Je pense que c’est aussi bien de faire des pauses entre certaines chansons, pour pouvoir apprécier la chanson précédente quelques instants et être prêts pour la suivante.
On retrouve d’ailleurs le thème de cette chanson (The Bird, The Lion and the Wildkin) presque de manière cachée dans la chanson « Hide In shade » (sortie depuis l’interview) y a-t-il une connexion entre les deux ?
Manuel : Thématiquement… En quelque sorte. J’ai écrit l’intro (« The Bird, the Lion and the Wildkin) comme une introduction à l’album (rires), mais « Hide in Shade » était supposée être la dernière chanson de l’album. Donc c’était censé être comme un gros sandwich, mais ça ne s’est pas fait comme ça. On a écrit « To my Ilk » et on s’est dit que c’était une meilleure chanson de clôture de l’album.
Tiziano : Mais pour rebondir sur ta remarque, même de manière plus générale , ça a déjà été fait, prendre des éléments d’une chanson et les cacher, répétés dans une autre.
Pouvez-vous nous parler de la chanson Solace, la seule qui parle d’espoir mais dont l’ambiance très lourde semble en contradiction avec son titre et ses paroles ?
Manuel : Oui, à mon sens, c’est probablement la chanson la plus triste que l’on a, presque la plus tragique ? C’est facile de faire une chanson sombre à propos d’orphelins, dont les chiots sont morts etc… Mais je pense qu’il est important d’incorporer un peu d’espoir et c’est ce que j’ai essayé de faire.
On peut dire que ça marche, c’est probablement celle qui m’a fait le plus réfléchir de l’album. Je pense que l’on peut dire que vous avez créé un genre à part entière et sauf erreur de notre part vous en êtes les seuls représentants.
Manuel : Je pense qu’il y a des choses similaires qui existent…
Tiziano : Peut-être pas avec exactement le même concept concret de marier le Black Metal spécifiquement avec le gospel (chansons des champs et parties de gospel). Mais je pense qu’on peut considérer qu’il y a des groupes qui prennent plus ou moins de Black Metal, de Blues et qui combinent des choses entre elles à un certain degré, même si ce n’est de la même manière que nous, pas aussi extrême, poussé que notre approche.
Avec le succès du groupe est ce que vous pensez que vous allez créer des émules ?
Manuel : Je pense qu’il y a des Manuel : Ce serait vraiment cool, mais pour être honnête, je ne pense pas qu’il y ait trop d’argent à la clé (rires).
Tiziano J’espèrerais que d’autres copient l’enthousiasme de combiner des choses en général et non pas s’en servir comme une recette, ou une toute faite. Ça serait beaucoup plus intéressant à voir : « On peut mélanger des styles comme ça, peut-être qu’on peut s’amuser avec ça… Essayer de combiner ça et ça et voir ce que ça donne ! ». C’est ça qui serait énorme. Et j’ai l’impression que c’est une tendance qui s’accentue ces derniers temps, en particulier quand tu regardes sur les réseaux sociaux.
Manuel Également avec l’engouement pour le Nu Metal qui fait un peu un retour inattendu (peut-être). Je pense qu’il y a beaucoup de nouveaux mouvements intéressants en ce moment. Pas tout, il faut parfois creuser assez profond, car beaucoup de gens se plient à l’algorithme, mais nous verrons bien.
Nous avons eu la chance de vous découvrir par un live, au Hellfest 2018, et on s’est pris une grosse claque. Comment appréhendez-vous les concerts ?
Tiziano : Pour moi, c’est le summum de la création musicale, même si, personnellement, je m’implique plus dans la partie production. Mais ça me vient moins naturellement, alors qu’en live, il n’y a rien entre toi et le public. Bien sûr, il y a le système de sonorisation, mais c’est vraiment direct. Il n’y a pas réellement de place à l’erreur et même quand il y en a, il faut composer avec et faire au mieux.
Manuel : Avant, je préférais écrire ma musique tout seul et je pensais que c’était la meilleure partie, mais maintenant que j’ai le privilège de jouer avec ces gens et vivre les réactions en live du public. Et cette énergie nous revient, puis leur revient, c’est extraordinaire, je ne sais pas, c’est incomparable, comme un partage d’énergie direct.
Tiziano : Oui, on n’arrête pas d’apprendre les uns des autres ou de quoique ce soit ! On essaie de trouver de nouvelles perspectives, de nouvelles influences… « fuck around and find out ! ».
Vous allez ouvrir pour Heilung au Zenith de Paris en septembre, mais aussi sur une bonne partie de votre tournée 2024. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l’association de vos deux styles de musique ?
Manuel : Je crois qu’on a hâte de jouer, bien sûr. Je pense que ce que je n’aimerais pas, c’est d’avoir un groupe très similaire comme première partie d’Heilung. Pour nous bien sûr ça nous permet de jouer pour un public nouveau et j’aime le contraste. On est heureux d’incarner ce contraste.
Tiziano : Je pense aussi qu’au premier coup d’œil, ça n’a pas vraiment de sens, mais une fois qu’on y est, on se rend compte de ce que signifie réellement Heilung, leur propos, comment ils vivent et ce qu’ils pratiquent. Je vois des similitudes… Des différences aussi, bien sûr. C’est réellement intéressant pour nous d’atteindre un nouveau public, d’être associé à un groupe aux sonorités différentes.
Je me souviens vous avoir vus au cours d’une tournée complètement différente avec Meshuggah à l’Olympia par exemple…
Manuel : On adore tous Meshuggah, donc c’était plus « YEAH ! ».
Vous faites aussi des tournées en tête d’affiche, est ce que vous avez un droit de regard sur les premières parties ?
Manuel : Oui ! Pourquoi, vous avez des suggestions ? (rires). Parfois, nous recevons des suggestions de la part de l’agence de booking, parfois on peut simplement choisir des groupes que l’on aime. Ça dépend, ça peut être n’importe quoi.
Tiziano : C’est varié, ça dépend aussi de quelle agence est en charge du booking ou de la promotion. En général, on reçoit une liste de noms, ou bien on a déjà une idée en tête, que l’on essaie de réaliser. Il y a beaucoup de facteurs en termes de logistique, de finance…
Manuel : Et aussi, de politique commerciale. C’est un aspect qui n’est pas très romantique mais c’est une réalité…
Tiziano : On essaie toujours d’avoir quelqu’un qu’on aime. Et c’est cool d’en profiter pour faire bénéficier d’un tremplin à des gens cools.
Quelque chose à ajouter ?
Manuel : On adore tous Meshuggah, donc c’était plus « YEAH ! ». Manuel : Rien ne me vient à l’esprit (rires). Non, je dirais qu’on est impatient de jouer à Bourlon et au Festival 666.
Tiziano : Et le show au Zénith. Je n’ai pas encore vu l’intérieur du Zénith, on a vu l’extérieur depuis le tour bus et ça avait l’air fantastique
Propos recueillis par Carole et Denis
Alors que le groupe se prépare à nous faire découvrir son nouveau chapitre GREIF (sortie prévue le 23 août 2024), nous avons eu le plaisir d’interviewer non seulement Manuel Gagneux, compositeur, chanteur, guitariste et âme damnée du groupe, mais également Tiziano Volante (guitare), preuve s’il en était besoin de l’évolution constante du groupe …
Avant de se pencher sur l’aspect purement musical de ce nouvel opus, pouvez-vous nous parler de l’artwork de GREIF (prononcé « graïf » - on a vérifié pour vous auprès des concernés- ) qui a un côté très fort, martial même et qui d’une certaine manière fait écho aux tonfas de « Wake of a nation » ?
Manuel : Oui, j'aime les images simples et frappantes que l'on peut voir et reconnaitre de loin. Cette fois-ci, c'est le Vogel-Gryff, cette créature mythique de notre ville d’origine (Bâle en Suisse) . Elle est éclairée exactement de la même manière que les tonfas, par derrière, ça lui donne un air très uni. La photo a été prise par Marco, notre batteur et l'éclairage par Miro Vitmo. Mais c'était MON idée ! (rires).
Tiziano : Et c'est vraiment l'original, LE super vieux costume qu'ils utilisent pour la cérémonie.
Au-delà de l’aspect purement musical, votre œuvre permet de faire découvrir des éléments culturels (évènements, ou folklore) qui n’ont pas toujours la portée médiatique qu’ils méritent. Par exemple avec « Wake of a Nation », j’ai pu grâce à la chanson « Tuskegee » découvrir le scandale sanitaire. Là, votre album GREIF nous permet de découvrir le Vogel-Gryff. Symbole, là encore, qui vient s’opposer à l’oppression d’un groupe par un autre, thème que l’on retrouvait dans l’EP Wake of a Nation…
Manuel : Oui, c'est l'idée derrière tout ça. La musique que nous avons fait et les albums jusqu'à maintenant ont toujours été à propos de la diaspora noire et les luttes des peuples noirs. C'est simplement une forme de généralisation. C'est comme ouvrir la porte sur plus d'oppression (rires). Il y a une dimension didactique. Je n'ai pas l'arrogance de vouloir expliquer le monde aux gens, car je ne le connais pas tant que ça, mais si on peut partager de petits aspects, je crois que c'est une bonne chose.
Que pensez-vous de cette manière d’utiliser la musique ?
Manuel : C'est toujours à la discrétion de l'auditeur de savoir s'il veut en apprendre plus. Mais j'aime semer des éléments d'information et laisser le choix d'aller creuser et faire des recherches du genre « oh hey, c’est à propos de ça… » pour découvrir ce qu'il en est vraiment et finir par passer 18 heures sur wikipedia (rires).
C'est justement ce qu'on a fait pour Tuskegee car, bien entendu, en France on en a jamais entendu parler, les médias d’ici n'ont pas du tout communiqué dessus.
Tiziano : Je dirais que c'est très spécifique, ce n'est pas comme le carnaval qu'on a à Bâle qui est probablement plus renommé aux yeux du monde, car même s'il n'est pas réellement inclusif pour un observateur extérieur, il en a plus l'apparence. La tradition du Vogel-Gryff est bien moins connue. C'est vraiment pour le "petit Bâle" (« klein Basel »), le Bâle de la classe ouvrière. C'est une tradition qui leur permet de sortir et "emmerder le Bâle bourgeois". Ayant grandi avec cette tradition, c'était assez naturel de se tourner vers ce concept que l'on connait déjà.
(Petite précision : Le Vogel Gryff est une créature hybride mythique qui défile dans les rues pour les enfants, symbolisant les travailleurs de Bâle qui s'opposent à l'élite oppressive de l'autre côté.)
" Si je ne me trompe pas, le processus d’enregistrement mais aussi de composition a été assez différent cette fois-ci … pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Comment s’est passée l’intégration des autres musiciens dans le processus ? Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?
Manuel : Pour la composition, je pense que c'était assez similaire, c'était vraiment "moi et ma grotte". La différence ici est que chaque musicien sur scène joue son propre instrument et a eu son mot à dire sur l'interprétation pour l’enregistrement.
En live, on sonne beaucoup plus intense que sur les albums et je pense que c'était une bonne idée d'inclure tout le monde, leur permettre d'être partie prenante.
Tiziano : C'était intéressant de voir le processus d'adaptation de démos et de pistes brutes. Historiquement, on avait un album déjà masterisé et on travaillait à adapter ça pour la scène. Cette fois, on a eu cette phase avant la session d'enregistrement. C'était bien de pouvoir se familiariser avec les chansons et les éléments de compositions, puis nous avons échangé sur comment les interpréter et les finaliser.
Pour vous citer : "Alors que les albums précédents étaient plus des appels aux armes pour les communautés, celui-ci est une quête personnelle". Cependant, les albums précédents étaient composés et enregistrés seul alors que pour celui-ci le reste du groupe a été impliqué. N’y a-t-il pas une contradiction là-dedans ?
Manuel : Non, je pense que chaque album est personnel. Il y a un élément de confiance "voilà ce que j'ai créé, j'espère que ça va vous plaire, travaillons ensemble…". Mais ça doit forcément se produire, cette fois ça s'est juste produit à une étape différente. Maintenant, il y a plus de couleurs et de talents impliqués qui viennent enrichir le tout, donc c'est simplement un… meilleur produit, car on cherche à vendre plus ! (rires)
À ce jour vous avez sortis plusieurs extraits de ce nouvel album : « To my ilk » (très douce) et « Clawing out » (beaucoup plus énergique avec des riffs très lourds). Deux morceaux très différents, un peu comme pour brouiller les pistes plutôt que de donner un indice sur la direction de l’album. Pourquoi ce choix ?
Tiziano : En réalité, on a fait ça aux dés (rires).
Manuel : C’était exactement l’intention. On a réfléchi à ce qui représentait le mieux l’album, pour démarrer la campagne de promotion. C’est très disparate. Maintenant, on a établi les limites du spectre, tout est permis !
Nous vous avons vus la semaine dernière au MYSTIC FESTIVAL et le moins qu’on puisse dire c’est que c’était blindé, la dernière fois que vous êtes passés au HELLFEST (2022), le public débordait largement de la tente …. Je me souviens des premières interviews où tu disais être surpris du succès du groupe : Est-ce que cela t’étonne toujours autant aujourd’hui ?
Manuel : Absolument, oui, à 100%.
Tiziano : La seule chose qui est peut-être légèrement différente avec cet album est que l’on commence doucement à avoir confiance en nous-même et dans le processus. Là où, auparavant, on aurait pu se poser des questions ou éprouver une certaine anxiété vis-à-vis du déroulement des choses. Mais c’est plus une question d’avoir déjà fait ça deux ou trois fois, maintenant (rires). Je pense que nous avons trouvé comment fonctionner en équipe. Parce qu’au final, nous avons de nombreux composants qui nous permettent de nous tenir sur scène. La musique, bien sûr est la base et constitue les fondations pour ce que nous voulons représenter. Mais pour être réellement en mesure d’assurer sur scène et faire le show, ça demande beaucoup d’efforts sur différents aspects. On essaie de se renforcer personnellement et mettre nos faiblesses de côté, ou travailler dessus autant que l’on peut.
D’ailleurs « The Bird, the Lion and the Wildkin » intro de l’album, est particulièrement efficace en intro live comme on a pu le voir au Mystic Festival la semaine dernière. Est-ce que ça a vocation à devenir une chanson d’ouverture emblématique ?
Manuel : Je ne sais pas. On est toujours tellement terrifiés quand on arrive sur scène avec ça. Normalement, on a une boîte à rythme électronique et la mélodie *sifflote*. Et on se dit « j’espère que ça va le faire » (rire nerveux). Mais ça fait vraiment plaisir de t’entendre dire ça.
Tiziano : Bien sûr, on voit des vidéos et on aime bien s’autoévaluer jusqu’à un certain point, mais on ne peut pas savoir pour autant ce que ça fait d’être là (pendant le show). Pour nous, sur scène, c’est souvent « merde, il faut qu’on fasse des trucs, on est sur scène, on doit faire quelque chose. On ne peut pas ne rien faire, parce que le public ne va pas aimer ça ». Je pense que c’est aussi bien de faire des pauses entre certaines chansons, pour pouvoir apprécier la chanson précédente quelques instants et être prêts pour la suivante.
On retrouve d’ailleurs le thème de cette chanson (The Bird, The Lion and the Wildkin) presque de manière cachée dans la chanson « Hide In shade » (sortie depuis l’interview) y a-t-il une connexion entre les deux ?
Manuel : Thématiquement… En quelque sorte. J’ai écrit l’intro (« The Bird, the Lion and the Wildkin) comme une introduction à l’album (rires), mais « Hide in Shade » était supposée être la dernière chanson de l’album. Donc c’était censé être comme un gros sandwich, mais ça ne s’est pas fait comme ça. On a écrit « To my Ilk » et on s’est dit que c’était une meilleure chanson de clôture de l’album.
Tiziano : Mais pour rebondir sur ta remarque, même de manière plus générale , ça a déjà été fait, prendre des éléments d’une chanson et les cacher, répétés dans une autre.
Pouvez-vous nous parler de la chanson Solace, la seule qui parle d’espoir mais dont l’ambiance très lourde semble en contradiction avec son titre et ses paroles ?
Manuel : Oui, à mon sens, c’est probablement la chanson la plus triste que l’on a, presque la plus tragique ? C’est facile de faire une chanson sombre à propos d’orphelins, dont les chiots sont morts etc… Mais je pense qu’il est important d’incorporer un peu d’espoir et c’est ce que j’ai essayé de faire.
On peut dire que ça marche, c’est probablement celle qui m’a fait le plus réfléchir de l’album. Je pense que l’on peut dire que vous avez créé un genre à part entière et sauf erreur de notre part vous en êtes les seuls représentants.
Manuel : Je pense qu’il y a des choses similaires qui existent…
Tiziano : Peut-être pas avec exactement le même concept concret de marier le Black Metal spécifiquement avec le gospel (chansons des champs et parties de gospel). Mais je pense qu’on peut considérer qu’il y a des groupes qui prennent plus ou moins de Black Metal, de Blues et qui combinent des choses entre elles à un certain degré, même si ce n’est de la même manière que nous, pas aussi extrême, poussé que notre approche.
Avec le succès du groupe est ce que vous pensez que vous allez créer des émules ?
Manuel : Je pense qu’il y a des Manuel : Ce serait vraiment cool, mais pour être honnête, je ne pense pas qu’il y ait trop d’argent à la clé (rires).
Tiziano J’espèrerais que d’autres copient l’enthousiasme de combiner des choses en général et non pas s’en servir comme une recette, ou une toute faite. Ça serait beaucoup plus intéressant à voir : « On peut mélanger des styles comme ça, peut-être qu’on peut s’amuser avec ça… Essayer de combiner ça et ça et voir ce que ça donne ! ». C’est ça qui serait énorme. Et j’ai l’impression que c’est une tendance qui s’accentue ces derniers temps, en particulier quand tu regardes sur les réseaux sociaux.
Manuel Également avec l’engouement pour le Nu Metal qui fait un peu un retour inattendu (peut-être). Je pense qu’il y a beaucoup de nouveaux mouvements intéressants en ce moment. Pas tout, il faut parfois creuser assez profond, car beaucoup de gens se plient à l’algorithme, mais nous verrons bien.
Nous avons eu la chance de vous découvrir par un live, au Hellfest 2018, et on s’est pris une grosse claque. Comment appréhendez-vous les concerts ?
Tiziano : Pour moi, c’est le summum de la création musicale, même si, personnellement, je m’implique plus dans la partie production. Mais ça me vient moins naturellement, alors qu’en live, il n’y a rien entre toi et le public. Bien sûr, il y a le système de sonorisation, mais c’est vraiment direct. Il n’y a pas réellement de place à l’erreur et même quand il y en a, il faut composer avec et faire au mieux.
Manuel : Avant, je préférais écrire ma musique tout seul et je pensais que c’était la meilleure partie, mais maintenant que j’ai le privilège de jouer avec ces gens et vivre les réactions en live du public. Et cette énergie nous revient, puis leur revient, c’est extraordinaire, je ne sais pas, c’est incomparable, comme un partage d’énergie direct.
Tiziano : Oui, on n’arrête pas d’apprendre les uns des autres ou de quoique ce soit ! On essaie de trouver de nouvelles perspectives, de nouvelles influences… « fuck around and find out ! ».
Vous allez ouvrir pour Heilung au Zenith de Paris en septembre, mais aussi sur une bonne partie de votre tournée 2024. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l’association de vos deux styles de musique ?
Manuel : Je crois qu’on a hâte de jouer, bien sûr. Je pense que ce que je n’aimerais pas, c’est d’avoir un groupe très similaire comme première partie d’Heilung. Pour nous bien sûr ça nous permet de jouer pour un public nouveau et j’aime le contraste. On est heureux d’incarner ce contraste.
Tiziano : Je pense aussi qu’au premier coup d’œil, ça n’a pas vraiment de sens, mais une fois qu’on y est, on se rend compte de ce que signifie réellement Heilung, leur propos, comment ils vivent et ce qu’ils pratiquent. Je vois des similitudes… Des différences aussi, bien sûr. C’est réellement intéressant pour nous d’atteindre un nouveau public, d’être associé à un groupe aux sonorités différentes.
Je me souviens vous avoir vus au cours d’une tournée complètement différente avec Meshuggah à l’Olympia par exemple…
Manuel : On adore tous Meshuggah, donc c’était plus « YEAH ! ».
Vous faites aussi des tournées en tête d’affiche, est ce que vous avez un droit de regard sur les premières parties ?
Manuel : Oui ! Pourquoi, vous avez des suggestions ? (rires). Parfois, nous recevons des suggestions de la part de l’agence de booking, parfois on peut simplement choisir des groupes que l’on aime. Ça dépend, ça peut être n’importe quoi.
Tiziano : C’est varié, ça dépend aussi de quelle agence est en charge du booking ou de la promotion. En général, on reçoit une liste de noms, ou bien on a déjà une idée en tête, que l’on essaie de réaliser. Il y a beaucoup de facteurs en termes de logistique, de finance…
Manuel : Et aussi, de politique commerciale. C’est un aspect qui n’est pas très romantique mais c’est une réalité…
Tiziano : On essaie toujours d’avoir quelqu’un qu’on aime. Et c’est cool d’en profiter pour faire bénéficier d’un tremplin à des gens cools.
Quelque chose à ajouter ?
Manuel : On adore tous Meshuggah, donc c’était plus « YEAH ! ». Manuel : Rien ne me vient à l’esprit (rires). Non, je dirais qu’on est impatient de jouer à Bourlon et au Festival 666.
Tiziano : Et le show au Zénith. Je n’ai pas encore vu l’intérieur du Zénith, on a vu l’extérieur depuis le tour bus et ça avait l’air fantastique
Propos recueillis par Carole et Denis