Interview avec IHSAHN pour la sortie de "Pharos" ! Interview avec IHSAHN pour la sortie de "Pharos" ! 

Interview avec IHSAHN pour la sortie de "Pharos" !
Carmziofa
Rédacteur en Chef

29/08/2020
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Traduction by Émilie Calas / Des milliers de mots
Des milliers de mots

Ihsahn publie la suite éclairée au ténébreux "Telemark" paru en février. Il s'agit du nouvel EP présentant 3 nouvelles compositions et une reprise de A-Ah (avec Einar Solberg de Leprous au chant) et une autre de Portishead. Découvrez notre interview d'Ihsahn ci-dessous.

Marc :
Bonjour à tous les fidèles de United Rock Nations. Nous sommes en très bonne compagnie, avec Ihsahn. Comment vas-tu ?


Ihsahn :
Je vais bien, merci beaucoup, et toi ?

Marc :
Très bien, merci. Nous sommes ici pour parler du nouvel EP, ''Pharos''. Tu as enregistré deux EPs en 2020 au lieu d’un album. Penses-tu que notre manière de consommer la musique nous pousse vers des productions plus courtes mais plus fréquentes ?


Ihsahn :
J’en suis sûr. C’est particulièrement vrai pour la musique pop, alors que pour le métal traditionnel, l’album reste le format dominant. Quand j’y pense, je me rends compte que j’ai sorti un album tous les deux ans depuis mes 16 ans (rire). Il était donc temps de passer à quelque chose de nouveau. Mon travail m’a vraiment poussé à retourner aux racines du black metal pendant un moment mais je trouvais ce concept trop restrictif pour un album entier. En revanche, pour un format limité, comme un EP, je trouvais l’idée attrayante. Ce deuxième EP se focalise entièrement sur le côté doux et progressif. Un seul album aurait été trop extrême vu ce que je faisais, mais ces deux EPs m’ont permis d’aller plus loin encore dans les deux directions. C’était très intéressant.


Marc :
Absolument. Avec« Telemark », tu souhaitais te reconnecter à tes racines, à la fois géographiques et musicales. Qu’en est-il de ''Pharos'' ?


Ihsahn :
L’exact opposé. Le concept consistait à tracer une ligne avec ''Telemark'' d’un côté, qui interroge sur nos origines culturelles. Quant à ''Pharos'', c’est un endroit lointain, qui pousse à regarder vers l’extérieur, c’est une exploration. Et musicalement, il y a le chant black metal de ''Telemark'', et une emphase sur le chant clair dans ''Pharos''. Comme je le disais en rédigeant le dossier de presse pour ''Telemark'', le morceau éponyme contient même des éléments typiques de folk, qui est une couleur musicale très forte. Elle n’aurait probablement pas trouvé sa place dans un album, mais au sein de ''Telemark'', c’était logique.


Marc :
Les deux EPs sont très différents, dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as enregistré ce nouvel EP ?


Ihsahn :
J’ai tâtonné bien plus, dans le sens où l’EP ''Telemark'' a sûrement été l’un des enregistrements les plus faciles que j’aie jamais faits, car tout ce que j’ai appris est comme une seconde nature pour moi : les guitares, les hurlements. Pour ''Pharos'', il y a eu bien plus de tâtonnements et d’erreurs, mais ça a été très instructif de travailler sur les reprises. Une fois que l’idée a été conceptualisée, on s’en est servi pour influencer notre approche. Par exemple, la reprise de Portishead a une telle texture, une telle fragilité, comme si elle pouvait se décomposer à tout moment. Elle est si petite et pourtant si puissante, prête à exploser. J’adore cette tension fragile, ces éléments musicaux électro et ceux qui sont plus orientés vers la pop. C’est l’inverse du morceau de A-Ha, qui est une chanson pop très intelligemment construite, alliant des éléments doux à un pré-refrain rock, et à un refrain de style pop hors du commun. Je voulais que ces éléments me fassent vibrer, à mesure que je travaillais dessus et qu’ils me servent d’outils pour choisir les arrangements de mes propres chansons.


Marc :
Parlons un peu de quelques morceaux de cet EP. 'Spectre of the Feast' est sûrement mon préféré. Cette reprise est vraiment fabuleuse, le solo de guitare est fantastique. Parle-nous un peu de cette chanson.


Ihsahn :
Merci. C’est l’un des morceaux les plus accessibles de tous, il n’est pas très lourd, du moins en comparaison avec ma musique. C’est une chanson très légère. Même les paroles sont plutôt enjouées, avec tout ce questionnement autour de ce qui se passerait si les tous les comportements sociaux superficiels disparaissaient, et que l’on était face à un véritable problème. Et c’est ironique, parce que peu de temps après, le monde s’est retrouvé face à un problème très concret, on est dans cette situation actuellement, et c’est très intéressant à constater. Ce n’est pas dans mes habitudes d’écrire sur un ton léger ou espiègle, mais c’était quand même très drôle à faire. J’ai essayé de faire en sorte que la chanson soit aussi groovy que possible.


Marc :
La chanson 'Pharos' est épique et sombre. Parle-nous-en un peu.


Ihsahn:
Elle se focalise sur l’observation abstraite de la métaphore du phare. Les vagues qui s’écrasent, c’est très lent, comme une version audio de ce signal lumineux. Les paroles elles-mêmes sont très abstraites, mais elles comportent malgré tout une réflexion sur le fait d’avoir un but à atteindre, d’être une lumière qui guide quelqu’un ou quelque chose d’autre. Une lumière qui attire les gens vers vous, en un sens. Le phare est souvent situé sur un rocher froid, au milieu d’une mer agitée. C’est un lieu très solitaire. C’est aussi un point militaire stratégique, car on décidait pour qui on allumait le phare, ce que je trouve très intéressant : les choix que l’on faits, qui on invite dans sa vie et qui on exclut. Il y a quelques réflexions philosophiques. C’était le but.


Marc :
Abordons maintenant les reprises. Ta version de 'Manhatan Skyline' est vraiment meilleure que l’original de A-Ha…


Ihsahn :
Je n’irais pas jusque-là mais merci.


Marc :
La façon dont chante Einar sur 'Manhattan Skyline' est vraiment incroyable. Parle-nous de ton approche des arrangements de la chanson.


Ihsahn :
J’ai vraiment essayé de prendre tous les éléments des arrangements et de la composition qui ont fait que cette chanson est aussi géniale. Les gens se contentent d’essayer de reconstruire les chansons avec quasiment les mêmes éléments. Je n’ai pas pris beaucoup de libertés créatives avec la chanson parce qu’il s’agissait ici d’apprendre, et je savais qu’Einar ferait un excellent travail au chant. Je trouve le rendu très bon, je suis très satisfait du résultat parce que c’était assez ambitieux. À de nombreux égards, cette chanson est difficile à aborder mais heureusement, j’ai pu travailler avec quelqu’un comme Einar, qui est un chanteur au talent démentiel et qui a pu aborder le chant d’une manière similaire à celle de Morten Harket.


Marc :
Lenny Kravitz, Iron Maiden, Portishead, A-Ha, pourquoi tes choix se sont portés sur ces quatre artistes ?


Ihsahn :
Parce qu’ils sont très différents. Iron Maiden est différent de Lenny Kravitz, de Portishead, de A-Ha, donc c’est un melting pot d’influences, de styles musicaux, mais ils ont tous un point commun : c’est de la très bonne musique. Les débuts de Lenny Kravitz sont très rock, même les paroles. Dans 'Rock and Roll is dead', il parle de l’aspect commercial de l’industrie de la musique, qui tue le Rock and Roll. Ce positionnement est très semblable à celui des débuts du black metal, la musique doit compter plus que tout. Dans ce sens-là, le black metal à ses débuts et le rock and roll ont les mêmes racines de rébellion. Ils se concentrent sur l’intégrité de la musique plutôt que sur la célébrité, la gloire et la superficialité des choses. Et le résultat est extraordinaire, la production livre un rock brut, surtout sur cette chanson. Le son des guitares m’a beaucoup influencé.

C’est pareil avec Iron Maiden. La période que je préfère est la fin des années 90, quand la production était très présente, avec les claviers et tout le reste. De manière générale, elle a eu plus d’impact sur moi en tant que compositeur et musicien que ce que faisait Iron Maiden à ses débuts. Cependant, 'Wrathchild' vient de cette période, elle est remplie de cette même énergie. Il n’y a pas beaucoup de production dessus, les chansons étaient jouées comme en live, et c’était ça que je recherchais. Pour moi, cette colère juvénile était spontanée. En plus de tous les éléments techniques, je devais choisir une chanson où je pourrais inclure du chant black metal sans perdre la moitié du morceau, parce que le métal qu’on propose dans 'Wrathchild' suit si bien les lignes de guitare que même si on perd la mélodie du chant, on ne perd pas pour autant la construction mélodique de la chanson. Par contre, si on avait repris les morceaux d’Iron Maiden des années 90 dans ce style-là, c’est-à-dire en n’ayant pas la mélodie de la voix, on aurait perdu trop d’informations musicales. Il y a donc plusieurs éléments qui sont entrés en compte quand j’ai fait ces choix.

Portishead, j’en suis fan depuis très longtemps et depuis plus longtemps encore pour A-Ha. On ne s’en rend peut-être pas bien compte, mais il y a des petits clins d’œil hommage à A-Ha même dans le deuxième album.

Marc :
Merci beaucoup pour toutes ces informations sur les reprises. Je ne te demanderai pas si Emperor va enregistrer un nouvel album parce que tout le monde te pose la question mais…


Ihsahn :
Tout le monde sauf toi ! (rire).


Marc :
Je constate que les fans d’Emperor te sont fidèles et continuent à suivre ta carrière solo. Comment l’expliques-tu ?


Ihsahn :
D’une certaine manière, ça peut se comprendre. Je pense que beaucoup de fans Emperor old school ont tendance à graviter autour des albums d’Emperor. Pour certains, ça peut être trop expérimental et excentrique. C’est une question de goûts, mais pour ceux qui ont continué à tout suivre, c’est une question de communication. Pour le meilleur et pour le pire, j’essaie toujours de communiquer très clairement sur le fait que je ferai toujours ce qui me semble juste, musicalement parlant. Je m’exprime dans un genre, au mieux de mes capacités et toujours de manière honnête et intransigeante. C’est pour cela que je pense avoir eu beaucoup de chance de faire carrière dans la musique.

Quand on a commencé, il n’y avait pas d’argent à faire, pas de support commercial. Notre objectif était artistique, et de ce fait, nous n’avons jamais essayé de copier quoi que ce soit. Et même cela, en soi, s’est mis à prendre de la valeur. Je pense que c’est cette attitude intransigeante qui m’a permis, à la base, d’avoir une telle carrière. J’aimerais faire honneur à ce privilège que je me suis accordé, en continuant à refuser tout compromis. Ce serait injuste envers tous ceux qui suivent ma musique, si je me mettais à arrondir les angles et si j’essayais de faire une musique qui plairait à d’autres. Je trouve que c’est un arrangement équitable : je donne le meilleur de moi-même, avec autant de sincérité et d’intégrité possible, puis je présente ma musique au public et il a le choix de l’aimer ou pas. Je serai toujours sincère. Je n’essaierai jamais de plaire au marché ou autre,et au final, avec cet état d’esprit, a-t-on envie d’un album de black metal composé dans le but de servir des exigences commerciales ? Ça irait à l’encontre de cette mentalité.


Marc :
Merci beaucoup Ihsahn pour toutes ces informations sur ce nouvel EP. On te souhaite tout le meilleur, bien sûr, l’EP est formidable, on adore« Pharos ».Merci.


Ihsahn :
Merci.


Marc :
Je sais que les temps sont durs à cause de la pandémie, mais as-tu prévu de jouer ces morceaux en live en 2021 ?


Ihsahn :
C’est triste car cette dimension live était liée aux deux EPs. Ils ont été volontairement conçus pour le live. Ce n’était pas de simple EPs, ils étaient censés avoir une extension en live. Je devais présenter ''Telemark'' en live au festival Inferno cette année, à Pâques. Il était prévu que je fasse un set basé sur des chansons de l’EP ''Telemark'', mais aussi des chansons de mon répertoire catalogue esthétiquement proches. Après ''Pharos'', j’avais prévu une tournée en Europe pour présenter ces nouveaux morceaux et des morceaux de mon catalogue. Rien de tout cela n’a pas pu avoir lieu, et je ne suis pas sûr de la suite des événements. Tous les concerts prévus avec Emperor cette année, ont été, autant que possible, reportés à l’année prochaine, et je croise les doigts pour que le monde contrôle un peu mieux la situation que jusqu’à présent.


Marc :
Merci beaucoup, on te souhaite le meilleur pour cet EP et on espère te voir bientôt en France.


Ihsahn :
Je l’espère aussi. Merci beaucoup pour ton soutien. Prenez soin de vous.