Il nous aura fallu six longues années d’attente pour enfin voir débouler le successeur de « The Book of Souls » (intervalle le plus long à ce jour entre deux rondelles des anglais). En fait, tout s’explique.
D’abord, entre 2016 et 2019, fidèle à ses habitudes et à ses tournées marathons, Iron Maiden à arpenter les six continents pour défendre sur scène son « Livre des âmes » (une centaine de shows) et nous re-re-… jouer ses plus grands hits (plus de 80 gigs pour le « Legacy of the Beast » Tour). Ensuite, dixit mister Dickinson, le présent opus « a été enregistré en 2019, pendant une pause dans la tournée afin de maximiser nos performances » mais la sortie a été repoussée en cette deuxième moitié de 2021 pour cause de Covid-19 qui a mis à mal pas mal de stratégie de parution d’albums.
Quoi qu’il en soit, voilà donc « Senjutsu » (NdT : « Tactique et Stratégie » en japonais), le dix-septième effort des britanniques. Comme son prédécesseur, ce nouveau matériel a été capté au Guillaume Tell Studio en France (cocorico) et (là encore on cite) « de la même manière, c’est-à-dire en écrivant une chanson, en la répétant et en l’enregistrant directement pendant qu’elle était toute fraîche dans nos esprits ». Comme son ainé aussi, pour la production, aux côtés de la tête pensante Steve Harris, on retrouve Kevin « The Caveman » Shirley (Rush, Joe Bonamassa, Dream Theater, Mr. Big) qui sévit sur tous les skeuds du sextet depuis « Brave New World » (2000). C’est dire si le monsieur connait bien nos lascars et leurs exigences.
Du côté de l’écriture des titres, sauf Dave Murray et Nicko McBrain, tous les autres membres ont œuvrés. La paire Adrian Smith/Bruce Dickinson commet trois pistes et le gars Gers en propose deux. En tant que parolier principal reconnu, le sieur Harris s’octroie la part du lion avec pas moins de sept compos à son actif. Le bassiste en signe trois en binôme avec un autre comparse et quatre – les plus longues du disque - tout seul comme un grand (le cryptique final totalisant une grosse demi-heure à lui seul avec des pavés de 10-12 minutes chacun).
Au menu de ce double-album (leur deuxième donc), dix compositions pour un peu moins de 82 minutes, soit environ 10 de moins que le méfait précédent. La mascotte Eddie a délaissé ses peintures tribales mayas et devient ici un guerrier samouraï avec katana et cicatrices sanglantes sur la tronche. On retrouve bons nombres des éléments qui ont forgés la carrière de nos icones britishs. Progressions mélodiques travaillées ('Hell On Earth'), interventions de sixcordes pas dégelasses (l’hypnotisant 'The Parchment' et ses soli de grattes en enfilade goupillés par la triplette magique), nappes de claviers orchestraux saupoudrées ici et là, galops (à deux doigts) de basse de tonton Harris (le court et direct 'Stratego'), et longs passages instrumentaux, voilà le programme. Plusieurs morceaux possèdent une ambiance et des textes sombres ('Darkest Hour' et son glaçant « We bury our sons… ») tout en gardant globalement la dimension épique chère à notre petite clique (mid-tempo 'Senjutsu').
Objectivement, on repère plusieurs sonorités bien familières et quelques références (recyclages ?) au répertoire passé ('Death Of The Celts' rappelle 'The Clansman'). Malgré la présence de tous les codes de sa zique, la vierge de fer opère quelques écarts hors de son heavy « classique » de prédilection avec l’ajout de quelques surprises. On retient des vagabondages en terres celtes ('The Writing On The Wall'), des effets sympas sur les vocaux ('Lost In A Lost World'), et des phrasés différents de l’ordinaire ('The Time Machine'). Derrière son micro, Bruce est en voix et en forme ('Days Of Future Past' et ses accents orientaux). Tout au long de la rondelle, le pilote de Ed Force One se fait tour à tour puissant, introspectif ou touchant.
« Senjutsu » est la suite logique de son ainé de six ans. Malgré parfois quelques longueurs dispensables (qui auraient fait gagner encore plus en efficacité), il y a là encore beaucoup de matières pour permettre au groupe de s’illustrer en live grâce à quelques joutes de guitares brillantes et – on les imagine déjà – des effets de scène grandiloquents. Débutée il y a plus de quatre décennies, l’histoire d’Iron Maiden ne semble pas sur le point de s’arrêter là. Qui s’en plaindra ?.