Y’a de ces personnages dans la vie qui ne font pas les choses à moitié. Doués, décidés, ils avancent avec une facilité apparente que le pékin moyen leur envie, et au passage révolutionnent – à tout le moins remettent au goût du jour- un genre, un domaine qui pouvait sembler ronronner, et lui insufflent un tantinet de fraicheur.
C’est typiquement le cas de Tyler Bryant (et ses acolytes des Shakedowns). Déboulant à 17 ans de son Texas natal (point important pour ce qui suit) pour cette Mecque musicale qu’est Nashville (à tout le moins pour la palanquée de rednecks biberonnés à la Country Music, au T-bone steack et aux rodéos) il s’acoquine rapidement avec rien moins que- entre autres - Graham Whitford (fils de Brad, l’un des gratteux d’Aerosmith…point important pour ce qui suit), le p’tit gars se met au turbin et usine à la chaine riffs musclés, blues bien gras et rocks saignants qui fleurent bon le good ol’time des années 70 et 80.
Et il ne faut pas moins de trois albums en six ans pour mettre tout le monde d’accord et convaincre que désormais, il y avait un nouveau groupe d’envergure avec lequel il fallait composer. C’est donc avec « Truth and Lies », sorti l’an dernier, que le quartet assoit définitivement sa réputation.
La suite logique eût été, dès la galette sortie du four, de répandre ses effluves partout où des narines avides de Classic Rock eurent pu les humer avec délectation.
Sauf que 2020 et son pangolin eurent tôt fait de mettre à bas les velléités de tournées, et d’avorter celles en cours. Certains, les affres du confinement aidant, auraient pu tout simplement se déchausser, mettre leurs pantoufles, sortir leur plaid préféré et se caler dans leur canapé, avec l’écran calé sur Netflix et quelques bols de chips à portée de main.
Mais on n’est pas de ce bois-là, chez les texans ! D’autant que quand on a tout le matos qui va bien « at home », que c’est la même pour les collègues, et que les progrès des réseaux informatiques permettent de garder le contact et de s’échanger des données les doigts dans le nez, on aurait bien tort de se contenter de larver !
C’est ainsi que Tyler et ses comparses se lancèrent bille en tête dans l’écriture d’un successeur à « Truth and Lies », lequel sortirait l’année même. Noah Denney ayant décidé de lâcher sa basse pour revenir à ses premières amours –en l’occurrence la batterie- c’est en trio que le présent opus fût donc créé.
Et ma foi, il y a encore une fois de quoi se régaler ! Car on a ici affaire à une belle collection de riffs bien têtus, carrés et groovy, comme on les aime !
Que ce soit dans un style proche de la bande à Steven Tyler (logique, y’a Graham fils de Brad aux guitares…un chat ne fait pas des chiens), dans le domaine du Blues le plus gras et gavé de slide bien sale, Bryant et ses potes s’y entendent pour vous transporter dans le bar du coin, pour enfiler quelques quilles de Bud, loger quelques billes dans les poches du billard, et danser la gigue avec Cindy, celle dont vous étiez raide dingue depuis le collège.
La filiation texane du taulier se sent dans chaque morceau par de petites allusions bluesy. Que ce soit dans l’écriture des riffs (« Holding my Breath », dont le motif principal transpire le « Just Got Paid » des plus célèbres barbus du Lone Star State) le choix des sonorités (de la slide bien crade, du dobro bien métallique), la note bleue vient instiller sa patte avec bonheur sur toutes les compos. Lesquelles sont - malgré les contraintes techniques du confinement – admirablement mises en son par Roger Alan Nichols. C’est costaud, et en même temps pas lourdingue. Contrairement à leur bouffe, pour le coup les amerloques ont su faire dans le digeste. L’oreille se régale.
Alors évidemment, on a droit à la ballade acoustique de rigueur (« Like The Old Me »). Mais là aussi on se prend une belle leçon d’arrangement. Car en tendant l’oreille, là où on croirait entendre un ensemble de cordes, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une simple guitare, colorée d’un léger chorus et nuancée à la pédale de volume. Là où la chanson aurait pu faire cu-cul la praline, on se laisse finalement prendre au jeu.
Par ailleurs, histoire de ne pas faire dans le nombrilisme, les morveux (je peux me le permettre, je suis plus vieux qu’eux !) se diversifient avec des emprunts à une face un tantinet plus britannique du Rock’n’Roll (« Automatic », certains passages de « Wildside »).
Sur le plan vocal, Tyler Bryant se montre à l’aise sur tous les terrains. Que ce soit pour grogner sur un Hard Rock, crooner sur une ballade, où hurler à la lune sur un blues bien roots (« Misery », incantatoire au possible), le leader les met toutes en pleine lucarne, en incarnant littéralement ses textes.
Seule petite « faiblesse » de l’album : le titre « Loner »(seconde ballade) qui détone quelque peu avec ses harmonies et son solo trop FM pour être honnêtes. Pas dégueu, certes, mais un poil sucré pour convaincre…Heureusement, le titre suivant, « Fever », vient recouvrir tout ça d’une bonne couche de sexe bon enfant, avec un riff qui vous envoie direct au pied d’une danseuse de la boite de striptease du coin. Les fans du « Lucky in love » de Tommy Castro apprécieront…
Enfin, rien à dire quant à la conclusion « Coastin’ », tout en coolitude et en « lazyness » country-blues.
On ne risquera donc rien à caler cette galette dans son lecteur, celle-ci nous garantit un moment fort agréable, en balayant ce que la musique US peut nous proposer de mieux. C’est « in your face » quand il le faut, souvent gras (mais le bon, hein, celui qui te tient chaud et prend soin de tes artères…), tout à la fois familier et frais. Avec des p’tits jeunes comme Tyler Bryant & the Shakedown, on n’est pas prêts de voir mourir le Rock ! Prends-toi une bière, c’est pour moi !