Il en est de certains groupes comme de rencontres importantes dans la vie. Au-delà d’un heureux hasard – le premier contact n’est pas volontaire- ils s’imposent à vous comme la pièce manquante de votre puzzle, sans que vous puissiez l’identifier a priori comme telle. Cela reste -longtemps- caché par le bruit ambiant, et le premier contact seul révèle alors l’évidence. Il faut rester vigilant pour ne pas passer à côté. Le secret est de garder les oreilles et l’esprit grand ouverts et, tel le pécheur au bord de l’étang, attendre patiemment que le bouchon plonge enfin pour ferrer (il n’est pas interdit de siroter sa roteuse préférée pendant ce temps).
ELDER, trio bostonien qui nous occupe présentement, fait partie pour votre serviteur de cet ensemble restreint des rencontres musicales miraculeuses.
C’est en 2015, à Clisson (terre de miracles s’il en est) qu’eût lieu, sous la Valley (Oui, voilà, la voisine de l’Altar et de la Temple, exactement !), en fin de matinée, cette révélation. Le set fût court, mais tellement intense ! La musique était complexe, et en même temps coulait de source. Le son était successivement puissant et aérien. Les yeux se fermèrent (pas besoin de regarder, l’onde sonore se suffisant à elle-même…et puis en fin de matinée, hein…) et ne se rouvrirent que bien trop tôt, la dernière note à peine jouée. La mandale, haaa… (voilà, ça c’était le jeu de mot à la con, c’est fait !)
Le piège se refermait alors. Une rencontre fortuite le soir même, suivie d’une discussion en toute simplicité avec Nick Di Salvo, guitariste-chanteur-tête pensante du trio, puis une picaresque course-poursuite au train du bassiste Jack Donovan parti à la recherche de weed dans les allées du festival, couronnèrent cette journée à marquer d’un pierre blanche. Il venait de se passer quelque chose, qui marquerait l’existence de votre serviteur.
L’acquisition de « Lore », l’album qui venait alors de sortir, fût assez aisée, et interprétée comme un signe (j’étais fait pour kiffer ce groupe, c’était écrit !). Et quel pied de retrouver ces entrelacs de sons entendus en terre de muscadet !
Il fallut plus d’efforts pour acquérir le successeur « Reflections of a Floating World », mais il faut savoir donner pour recevoir en retour (contrairement à la boxe, où il vaut bien mieux donner que recevoir). La récompense fût belle, et l’on nota déjà un glissement d’un stoner psychédélique vers quelque chose de plus rock prog’.
Ce glissement est aujourd’hui confirmé avec « Omens ». Renforçant pour l’occasion ses effectifs d’un second guitariste –et ayant d’une pirouette pu sursoir à la défection de leur batteur originel Matt Couto- le désormais quatuor enfonce le clou de l’évolution vers une musique qui, si elle reste hypnotique, devient plus « intime », dans le sens ou la puissance du fuzz se fond plus franchement dans une architecture qui parle directement à l’âme, lui laissant entrevoir de grandioses et –malgré la puissance parfois développée- apaisants paysages. Les six (et quatre)-cordes en fusion se fondent aux claviers, l’ensemble étant martelé par la batterie, tel le pilon sur le lingot d’acier incandescent…et c’est beau ! On se laisse happer par ce qui, malgré le découpage en cinq –longues – pistes, ne reste en mémoire que comme une seule et même ample pièce, qu’on trouve paradoxalement trop courte. Cohérence d’ensemble, encore et toujours gage de plaisir et de qualité…
L’expérience de l’écoute de cet album reste personnelle, et nécessite une prédisposition à la résonance, en ceci qu’elle vous fait vibrer positivement…ou pas (mais honnêtement, là j’ai un doute)! Décrire ce disque, décortiquer chaque morceau n’aurait ici guère de sens. Seule la confrontation de l’œuvre au conduit auditif permettra de convaincre.
Ceci dit, afin de ne pas laisser les plus pragmatiques/matérialistes de nos lecteurs sur leur faim, l’on tentera de définir cette musique comme un mix audacieux mais tellement équilibré de Stoner (pour la puissance sonore et la transe), de prog floydien (pour la structure des morceaux, la recherche de l’atmosphère) et de…jazz (pour l’aspect jam, les structures harmoniques et rythmiques). On soulignera enfin pour les plus cocardiers que l’album a été enregistré en France, au cœur de la douceur angevine – et Dieu que cela s’entend !
Vous l’aurez compris, votre serviteur enrage de ne pouvoir – la faute à cet odieux COVID-19- applaudir à nouveau les bostoniens à Clisson (puisqu’ils étaient de la programmation de l’édition 2020). Il enragerait encore plus s’il apprenait que parmi ses lecteurs, nombre d’entre eux auraient fait fi de cet article, en n’allant pas goûter – et apprécier - leur dernière galette. Parce que là, franchement, ce serait du gâchis !!!