«La réunion tant attendue des 4 mousquetaires du prog, plus de 20 ans après leur dernière aventure avec un album empreint de nostalgie et de fan service»
John Petrucci, Mike Portnoy, Jordan Rudess et Tony Levin. Tels les 4 mousquetaires du prog, ils reviennent enfin, 20 ans après leur dernière aventure. Présentée à raison comme une des réunions de supergroupe les plus demandées de la scène actuelle, et ce, après un court interlude live d’une semaine en 2008 pour célébrer les 10 ans du groupe auquel seuls quelques fans chanceux outre-Atlantique auront eu la chance d’assister, celle de Liquid Tension Experiment prend la forme d’un album studio sobrement intitulé : « Liquid Tension Experiment 3 ». 8 titres instrumentaux d’une virtuosité éclatante à l’image de la pochette toute en explosions de paint-balls. Un beau nuancier sonore qui explore aussi toute la palette du fan service.
Certes, après la réunion entre John Petrucci et Mike Portnoy sur le récent album solo du premier (dont vous pouvez retrouver l’interview et la chronique sur notre site), après l’apparition de Jordan Rudess sur scène au concert des 50 ans de Mike, les fans avaient de bonnes raisons d’espérer un retour de Liquid Tension Experiment. Plus encore, dès le départ de Portnoy de Dream Theater, voilà plus de 10 ans maintenant, on se consolait en se disant qu’on aurait du coup un 3ème LTE. L’arrêt du projet en 1999 venait du fait que peu de temps après l’enregistrement de LTE 2, Jordan avait rejoint Dream Theater portant donc à 3 membres sur 4 le nombre de musiciens déjà collègues par ailleurs dans leur groupe principal. Comme le disait Mike en interview à l’époque, le projet LTE censé être un pur side-project n’avait dès lors plus vraiment lieu d’être. Mike parti, cela ouvrait la porte à une réunion. Néanmoins, malgré le bon pressentiment, l’annonce de la réunification officielle du groupe et de la sortie de ce LTE 3 a été accueillie comme une excellente nouvelle par les fans de prog, car il aura fallu attendre longtemps pour qu’elle se concrétise !
LTE 3 reprend dans la directe continuité de ses aînés. On reste sur de l’instrumental, et sur des morceaux pour la plupart improvisés et enregistrés à la volée. Rappelons que l’improvisation, la « jam », constitue l’ADN du groupe. Tant et si bien d’ailleurs que comme les hardcore fans le savent, les compères, non contents de sortir sur leurs albums officiels des « morceaux » totalement jammés, ont même osé improviser jusqu’à leur line-up. On les a vus sortir en configuration trio 2 albums obscurs et assez rares, fruits de leur remarquable capacité d’adaptation à des imprévus qui en auraient stoppé plus d’un, à savoir, le départ précipité de Petrucci suite à l’accouchement de sa femme survenu en pleine session de studio pour LTE2 en 1998 (Liquid Trio Experiment – Spontaneous Combustion) et la panne totale du clavier de Jordan au milieu d’un show dix ans plus tard (Liquid Trio Experiment 2 – When The Keyboard Breaks).
On est en territoire familier avec LTE 3. Dans la construction déjà, puisque que sur les 8 titres qui composent le disque, 4 sont des compositions intégralement écrites : « Hypersonic », « Beating The Odds », « The Passage of Time » et « Key To The Imagination » alors que 3 sont des morceaux mi-écrits, mi-jammés ce qui était déjà le cas précédemment. On y aussi retrouve 2 duos comme à l’accoutumée : le fameux « Chris & Kevin » qui complète la trilogie des basse-batterie signés Mike & Tony et « Shades of Hope » avec Jordan au clavier et John à la guitare (enregistré en une unique prise mais ennuyeux à mourir) qui complète les langoureux « State of Grace » et « Hourglass » des précédents opus.
Le style LTE n’a pas bougé d’un poil. Haut en couleur, haut en virtuosité, mélangeant le son heavy du métal prog moderne à des influences plus jazzy le tout avec des rythmiques impaires et un tempos élevé dans l’ensemble. Tout y est poussé à son extrémité. C’est d’ailleurs ce qui peut ravir ou rebuter l’auditeur. Comme le dit Petrucci « quand vous appuyez sur play, ça vous roule dessus ». « Hypersonic » avec ses 30 secondes d’intro à pleine vitesse correspond très certainement à cette définition, et fait honneur à la tradition des morceaux opener lancés pleine balle comme « Paradigm Shift » ou « Acid Rain » sur les 2 précédents albums. Portnoy ajoute même au sujet du même titre : « qui pourrait croire qu’une bande de types de notre âge puisse jouer comme ça ? C’est sans répit ». Nul doute que cet aspect extrême, à la fois dans la rapidité d’exécution et la complexité des parties instrumentales a été mis particulièrement en avant, comme une déclaration qu’ils sont bel et bien de retour.
Jordan de son côté continue d’explorer les sons planqués au fin fond de son synthé, se réjouissant certainement d’avoir enfin le contexte (ou l’absence de contexte, justement) pour pouvoir les sortir. On a une pensée pour les ingénieurs de chez Korg les ayant programmés un après-midi en se disant que personne à part les techniciens de chez Otis ou les office managers de chez Caudalie ne s’en serviraient…« Liquid Evolution », bientôt à l’écoute sur les bornes Nature & Découverte, est l’un de ces morceaux compagnon idéal de vos séances de méditation, de spa ou de vos soirées à binger Ushaïa Nature. Un autre, est « Rhapsody In Blue » vers 10 min avec le son de steel drums.
Tony s’illustre sur son duo avec Mike et les sons très expérimentaux, proches du violoncelle désaccordé, qu’il arrive à sortir de son instrument. Certains passages sont très Crimsoniens, à la moitié de « Hypersonic » au moment du changement de tempo quand la basse prend le lead, par exemple. Il fait également des merveilles au début de « Rhapsody In Blue » sur son Chapman Stick, instrument peu commun, dont il maîtrise toutes les harmoniques.
Plusieurs morceaux ou passages de morceaux sont des hommages directs aux précédents titres de LTE. Dans « Hypersonic », au moment du solo de clavier on retrouve « When The Water Breaks ». Le début de « Key To The Imagination » rappelle « Another Dimension » et son tapping à la basse, quant à « Liquid Evolution » dont on a parlé, c’est la suite directe d’ « Osmosis ».
Mais surtout la première impression qu’on a en écoutant LTE 3, c’est que ça sonne…comme du Dream Theater…de la (bonne) époque mais « sans le chant pénible » comme dirait Mike. « Key To The Imagination », l’épique de l’album, en est un véritable condensé. On retrouve au début l’orgue d’ « Awake » et vers 5 min ceux de la période Derek Sherinian. Ensuite, tout le passage à l’ambiance orientale qui intervient à la moitié et qui rappelle le titre « In The Name of God », aurait très bien pu être sur « Train of Thought ». D’autres références volontaires ou non sont disséminées : vers 3 min dans « Hypersonic » on se croirait dans la section finale d’« Octavarium », surtout que Jordan utilise un son de clavier très similaire. Enfin, comment ne pas entendre « Constant Motion » juste avant le solo de clavier sur « Beating The Odds « ?
Seulement voilà, en 20 ans les goûts changent…alors une fois passée la nostalgie, pour ceux qui auraient vu leurs goûts musicaux évoluer vers quelque chose de moins technique, moins rentre- dedans, moins kitsch aussi (Jordan, suis mon regard), l’écoute entière de l’album pourra apparaître comme une épreuve. Trop de solis, trop de breaks dans les morceaux écrits…et une production suivant les tendances actuelles du métal et du prog, à savoir une compression très appuyée…Plus que jamais les jams sont importantes et nécessaires pour apporter la fraîcheur et la spontanéité à une écriture qui 20 ans après, et surtout après la dizaine d’albums de Dream Theater qui ont suivi, l’a totalement perdu.
LTE a permis à l’époque à Portnoy, Petrucci et Rudess d’explorer un son nouveau et il est incontestable que ce projet a posé les bases de la renaissance de DT au début des années 2000, avec une série d’albums mythiques dont on se souvient tous, et qui paraissent hélas bien loin aujourd’hui. En 2021, LTE, le projet pourtant iconoclaste au départ, sent forcément un peu la recette, et on se retrouve dans les morceaux écrits, avec une nouvelle occurrence de prog surcompressé et bourré de solis, pas désagréable certes, d’un plaisir coupable par moments, mais fatigant à la longue et qu’on risque d’oublier…
Une exception cependant : la très intéressante reprise de « Rhapsody In Blue » de Gerschwin. Quelle belle surprise. Cette reprise existait en fait depuis la tournée des 10 ans du groupe mais n’avait été entendue qu’en live et donc, par peu de monde, ce qui justifiait son inclusion sur cet album. C’est sans nul doute le titre le plus intéressant de ce LTE 3. John reprend à la guitare les pistes solistes de clarinette ou de trompette, Tony avec ses harmoniques à la basse simule des trémolos, Jordan donne le change avec ses multiples sons, on notera le clavinet très sympathique au début et Mike s’amuse beaucoup sur certains passages, notamment sur la montée avant la reprise finale où il part en marche country. L’ensemble fonctionne bien, arrivant à être très fidèle à l’original tout en le « proguisant ».
L’impression générale après avoir écouté LTE 3 est vraiment feelgood et c’est tout ce qu’on demande finalement. Même si LTE 3 n’aura sans doute d’historique que son annonce, on aurait tort de bouder son plaisir de partager les retrouvailles des 4 compères. LTE s’est déjà taillé un statut bien à lui sur la scène prog/métal sans que cet album-là ne vienne le remettre en cause. Pensez-y, rares sont les supergroupes ou side-projets aussi appréciés et qui bénéficient d’une fanbase bien à eux, par exemple les gens qui voudraient du Dream Theater sans la voix énerv…bon ok, j’arrête ! Ce qui est jouissif avec LTE et ce qu’on imagine sans peine, Portnoy, Petrucci, Rudess et Levin ressentir, c’est qu’il n’y a aucune limite. Appuyer sur « Rec » puis envoyer le morceau direct au pressage, aucun problème. Sortir un album live d’un concert où le clavier est tombé en rade et où les musiciens ont dû changer d’instrument, faire des blagues et terminer le concert malgré tout, check. Sortir sur un label confidentiel un coffret ultra deluxe (et aujourd’hui ultra rare) d’une mini tournée d’une semaine pour les 10 ans, comprenant une douzaine de CDs/DVDs, que mêmes les plus grosses écuries ne s’offrent pas, deal !
Finalement, le plus grand mérite de LTE 3 c’est de nous rappeler, sans l’altérer en bien ou en mal, les souvenirs qu’on avait avec les 2 premiers albums. Et pour votre serviteur, c’est déjà très bien.