Heilung est resté discret tout en faisant parler, et c'est ce paradoxe qui m'intriguait par-dessus tout. Le groupe se compose de Kai Uwe Faust, Christopher Juul et Maria Franz et se revendique du courant Neo-Folk. Les créations sont originales, entêtantes et brutes mais toujours puissantes, et je ne doute pas que l'album « Lifa » saura vous convaincre !
L'entrée en matière est originale mais donne très bien le ton avec « Opening Ceremony », un serment répété par de multiples voix et qui sert finalement d'introduction au rituel qui s'ouvre avec « In Maijan ». Une corne résonne, puissante, solitaire et mystérieuse car porteuse d'un message qu'on ne peut encore deviner. Puis un cri, suivi de hurlements à peine humains, et je retrouve l'atmosphère si mystique et tribale que j'affectionne chez des groupes comme Dordeduh. Des tambours se mettent en marche de façon martiale. Rien ne semble pouvoir arrêter l'avancée d'Heilung. Mon conseil, laissez-vous aller à cette rythmique ancestrale que le groupe a ramené des entrailles de la terre pour notre plaisir. Les plus curieux iront au bout des douze minutes de cette chanson, découvrant par la même de très belles harmonies vocales. L'invocation des loups se poursuit avec « Alfadhirhaiti », un titre marqué par des jeux d'appel et de réponse autour de la voix du meneur et de la foule qui l'entoure dans ce voyage spirituel. Les tambours se font plus dansants et s'emparent peu à peu de nous. Je ne vous en dis pas plus sur ce titre mais Heilung y va très fort dès le début de cet album : les codes du genre sont mis en valeur dans une relecture intelligente et soignée.
« Carpathian Forest » n'est proche du groupe du même nom que par l'ambiance sombre qui se dégage du morceau. Une fois gutturale répète une litanie sur des chants d'oiseaux et le bruissement du vent et l'effet en est des plus beau puisque nous n'avons aucun mal à imaginer un sorcier invoquant des esprits au milieu d'une forêt baignée par la lumière de la lune. Les premières secondes de « Krigsgaldr » semblent annoncer quelque chose de plus sobre, maîtrisé et apaisé, mais Heilung est un groupe plein de surprises alors attendons d'en entendre un peu plus ! Très lentement, une rythmique apparaît et ordonne la mélodie, très planante et atmosphérique. Une voix féminine vient couronner cette chanson, l'amenant à son apogée avec délicatesse. Cependant, les démons du groupe se tiennent dans l'ombre, prêts à frapper et, une nouvelle fois, une voix gutturale, qui flirte avec le Black Metal se joint à l'ensemble mais les transitions sont travaillées et le titre trouve son équilibre. Les sorcières se sont rassemblées pour « Hakkerskaldyr », ou en tous cas c'est l'impression que donne les rires et cris qui animent l'ouverture de la chanson. Et c'est peut être là le véritable talent du groupe : conter une histoire plutôt que se contenter de faire du Folk. Nous sommes happés dans un univers riche et complexe, effrayant mais qu'on en quitterait pour rien au monde tant le groupe le rend séduisant par ses mystères.
Spiritualité et mesure sont de mises pour « Fylgija – Futhorck » qui nous offre tout d'abord l'aperçu d'une cérémonie lente où nous suivons pas à pas le meneur avant de nous plonger dans une transe de plus en plus énergique et presque dansante tant la rythmique prend de l'ampleur au point d'envahir tout l'espace autour de nous. Tout notre être se met au diapason et les battements des tambours remplacent la pulsation de notre corps, incarnant un souffle de vie universel qu'Heilung est parvenu à capturer. « Othan » permet d'associer la douceur et la grâce d'une voix féminine à la force contrôlée d'un choeur masculin, le tout sur une rythmique presque discrète par rapport à ce à quoi le groupe nous a habitué jusqu'ici. La chanteuse prend parfois des accentuations qui pourraient rappeler Björk. Pour conclure cet album, ce récit flamboyant, cette cérémonie endiablée, les musiciens nous offrent « Hamrer Hippyer », une fresque de quatorze minutes d'abord marquée par une rythmique trépidante où voix et tambours se mêlent. Celle-ci sous-tendra l'ensemble de la chanson avec des variations vocales très réussie.
« Lifa » est donc bien plus qu'un album et je dois avouer que je n'aurais jamais imaginé que le groupe avait la force, la créativité et la maîtrise de nous entraîner dans un voyage aussi fascinant. Ce n'est pas une époque disparue qu'Heilung ramène à la vie, c'est une invitation à laisser notre corps prendre le dessus sur notre esprit et notre coeur renverser le contrôle maintenu par notre raison. Je ne vous l'ai pas dit pour ne pas influencer votre écoute de cet album mais il s'agit en fait d'un enregistrement live d'un concert donné à Copenhague en 2017. Le trio d'Heilung est donc entouré d'un groupe de musiciens et de figurants incarnant des guerriers viking. Est-ce que cela change quoi que ce soit au talent du groupe ? Non, mais cela nous permet d'imaginer bien plus de choses.