«Dream Theater livre un coffret à la réalisation sonore et visuelle techniquement impeccables, qui malgré des fautes de goût graves dans l'interprétation vocale sur la moitié du show, vaut tout de même le coup d'oreille, et surtout le coup d'oeil»
6 ans après leur dernière livraison live : Breaking The Fourth Wall, avec l'omission entre temps d'un live de The Astonishing (qu'on ne regrettera pas je pense), Dream Theater revient enfin sur nos écrans le 27 novembre avec Distant Memories Live In London. Au menu: un show à la production sonore et la réalisation visuelle excellente, livré dans des coffrets comme d'habitude riches en galettes de vinyle ou de polycarbonate. Pas moins de 3 CDs, 2 Blu-Ray/DVD et 4 LPs nécessaires pour contenir ce souvenir de la dernière tournée, malheureusement mise en pause à cause de la pandémie.
Enregistré les 21 et 22 février de cette année dans une salle comble au Hammersmith Apollo à Londres, devant un public assis et très sage comme à l'accoutumée, le concert se concentre d'abord sur Distance Over Time, le dernier album en date, mais revisite aussi le temps de 2 morceaux épiques les albums Systematic Chaos (2007) et Black Clouds & Silver Linings (2009) qu'on n'avait plus entendus depuis un moment. Mais sans tourner plus longtemps autour du pot, ce qu'on attend tous est bien le 2nd set du show avec une célébration des 20 ans du mythique Metropolis Pt2 : Scenes From A Memory (1999) qui est ici joué dans son intégralité pour la 2nde fois depuis Metropolis 2000: Scenes From New York. Comme beaucoup de groupes de rock et métal progressif ayant à leur actif une bien belle carrière, Dream Theater est en effet très attaché à la célébration des anniversaires de ses albums. II y a 3 ans, les 25 ans d'Images and Word avaient donné lieu à une tournée spéciale au cours de laquelle l'album avait aussi été interprété en intégralité. Et 6 ans auparavant, le double anniversaire : 20 ans d'Awake et 15 ans de SFAM avaient été célébrés lors du 2ème set de la tournée de l'album éponyme : Dream Theater (2013). Et c'est sans compter les innombrables hommages, medley, sets bonus et j'en passe rendus à eux-mêmes au cours de leur prolifique carrière.
On apprécie d'ailleurs que DT ait choisi le vieux continent pour immortaliser les 20 ans de SFAM. Le dernier live en date enregistré en Europe remontait en effet à 1998 avec Once In A LIVEtime enregistré chez nous au Bataclan.
Les lumières s'éteignent et le show commence par le traditionnel film d'introduction. Une animation 3D est projetée sur l'écran géant qui surplombe une scène, plus compacte que ce à quoi DT nous a habitués et qui donne l'impression de voir le groupe jouer sur une étagère. Même s'il est heureusement d'une meilleure qualité que les horreurs d'Astonishing dont la nostalgie des graphismes des cinématiques des jeux sur Windows 98 ne parvenait même pas à excuser la piètre qualité, ce petit film présente encore ce côté bien cheap et kitsch auquel le quintet nous a habitué. Et ce n'est pas leur dernières pochettes et créations graphiques qui vont le dementir, sans parler de celle de ce même live, à la réalisation hasardeuse. On finit par se demander si John Petrucci ne s'en est pas lui même chargé, avec une version d'essai de Photoshop et une photo du Tower Bridge prise avec son smartphone au retour du fish and chips, 30 min avant le début du concert.
Sur fond de musique orchestrale, un robot humanoïde rappelant l'artwork de Distance Over Time est en train de réorganiser les pochettes des albums du groupe sur plusieurs écrans, un bon moyen de se rendre compte, à la réaction de la foule qui laisse échapper sa joie à leur apparition, lesquels sont plébiscités. A Change Of Seasons, Six Degrees Of Inner Turbulence, Awake ont le droit à leur petit moment de gloire éclipsé seulement et, bien sûr, par Metropolis Pt2 : Scenes From a Memory, la star de la soirée.
Le show ouvre sur Untethered Angel, single de Distance Over Time. Dès les premiers titres de ce 1er set concentré sur les derniers morceaux du groupe, on se rend compte qu'on ne va pas être dépaysés niveau production. Le mixing des guitares est agressif et très épais comme en studio, la batterie sonne enfin de manière un peu plus organique que sur les dernières productions studio (et encore). Niveau visuel, la réalisation s'est modernisée avec la présence de GoPro haut de gamme un peu partout : 3 rien que pour Mike, ainsi qu'avec des plans en travelling du plus bel effet grâce à la caméra sur rail disposée au 1er rang de la fosse. Grâce à un montage bien équilibré entre plans d'ensemble, close-ups, travelings, le résultat est nettement plus immersif que la majorité des autres lives du groupe qui donnaient plus une impression de collage de plans isolés que de captation globale d'une performance en groupe. A l'exception peut-être de Live At Luna Park pendant la tournée A Dramatic Turn of Events mais qui lui allait dans l'excès inverse en nous donnant la nausée avec ses caméras grues et ses plans aériens. Un très bon point donc de ce côté-là pour Distant Memories. La taille de la scène et la disposition en étagère favorise d'ailleurs cela, les musiciens étant plus proches les uns des autres.
Pour l'occasion le groupe s'est mis sur son 31. Mike arbore ses belles lunettes Speedo anti-lumière bleue avec son bandana jaune, Jordan a revêtu sa blouse d'épicier, John Myung est - suspense - tout en noir. Quant à John Petrucci et James ils se sont offert une teinture de cheveux noir fluo pour l'occasion. Le style (l'absence de style) de DT décidément...
A Nightmare To Remember est une addition fort appréciable à la setlist de cette première partie de soirée. Jordan nous gratifie sur ce titre d'un solo au keytar et James se sort avec les honneurs de la partie vocale super cringe de Mike Portnoy avec le growl...
Après une courte intervention, James se fend d'un sourire sur le solo de Fall Into The Light où le public entonne la mélodie avec des Oooh enthousiastes, juste avant le refrain.
On a ensuite le plaisir de retrouver un vieux titre : In The Presence Of Enemies Pt1 qui remporte aussitôt un tonnerre d'applaudissements.
Ce 1er set s'achève sur Pale Blue Dot. Encore une tornade de virtuosité hallucinante. On est pris de vertige en se disant qu'à ce moment précis de la soirée, il reste encore au groupe à interpréter TOUT un album et non des moindres...
Après un entracte bien mérité,il est temps de passer au plat de résistance. Un dessin animé sur fond de ragtime nous présente les protagonistes de Scenes From A Memory : on y retrouve une Victoria (qui a gagné au moins deux bonnets en 20 ans), Edward et Julian mais aussi et surtout Nicholas et l'Hypnothérapeute.
Le public ne peut plus contenir son enthousiasme alors que ce dernier entame le compte à rebours avant le passage en état de transe. Tous en choeur l'entonnent. Commence alors Regression l'intro intimiste acoustique de l'album. James, Jordan et John occupent la scène.
Enfin la marche de caisse claire annonciatrice de Overture 1928 se fait entendre et la pression monte à son rythme. Quand éclate enfin le refrain, ça se lève dans le public. Cette intro n’a rien perdu de son efficacité, il faut bien le dire.
Niveau performance instrumentale rien à dire sur ce 2ème set épique, à part qu'on est scotché comme d'habitude. Les morceaux s’enchaînent sans pause, sauf juste avant Home, fidèlement à la logique de pièce épique globale faite pour être écoutée d’une traite. On notera un passage incroyable sur Fatal Tragedy où Jordan, le temps d'un solo de batterie de 3 secondes a juste le temps d'enfiler son keytar et de partir tout de suite dans un solo vertigineux...il continue de nous surprendre après toutes ces années.
En revanche, James, qu'est-ce que tu nous fais ?
Malheureusement donner raison à une partie des critiques qui lui sont habituellement faites : la maladresse et le mauvais goût de ses envolées lyriques d'abord, son incapacité à susciter une émotion et à créer un sentiment d'intimité, ensuite. Sa tendance à placer des interventions lyriques là où c’est déplacé et pas là où il le faudrait, un peu au hasard en fait. Son espèce de détachement froid et son manque de charisme pour être carrément sévère. En ce qui concerne la justesse de la voix...sujet délicat quand il s'agit de donner un avis ici sur un produit sans nul doute retouché en post-prod. Disons qu'en jugeant uniquement le produit fini, c'est loin d'être sa pire performance (Oui c’est toi que je vise Live at Budokan). Mais quelle différence avec le début de la soirée !
Pourtant votre serviteur fait partie de ceux qui, s'ils sont pleinement conscients des imperfections techniques, les excuseraient bien volontiers. Le problème avec James c'est qu'on ne sait jamais s'il est content d'être là...même ses interventions au public respirent la fatigue et la lassitude. Ses remerciements sonnent creux. On a l'impression qu'il n'attend que de prendre sa douche et de mater Netflix dans sa couche du tourbus. On ne sent pas la nostalgie chez lui c’est sûr, à voir sa différence d’implication entre les 2 sets, on a même l’impression, peut-être fausse, que ça l’ennuie au plus haut point de devoir se retaper encore une fois les titres de SFAM (ce qui peut tout à fait se comprendre).
Son interprétation des morceaux calmes comme Through My Words ou Through Her Eyes, tout en respirations et soupirs exagérés, quand il ne s'agit pas de fry à répétition, autant de tentatives maladroites de créer de l'intimité, est à la limite du supportable. C'est super cheesy, pas sincère pour deux sous et mal maîtrisé qui plus est...quel dommage. Il aurait bien mieux valu qu'il se cantonne à une interprétation sobre plutôt que d'essayer à tout prix de jouer les divas. D'autant plus que la sévérité de son visage qui ne se déridera que très peu pendant tout le show ne l'aide décidément pas. Souris, pleure, fais quelque chose, on a envie de lui crier. Habite ton personnage !
Quant au falsetto sur Through Her Eyes il était assez bancal comme ça sans y rajouter les yeaaaRRH à la fin. Bref...
Plus inquiétant, sur des titres comme Strange Déjà Vu ou Fatal Tragedy il éructe les espèces de grognements qui sont malheureusement devenus une marque de fabrique chez lui au fil des années, à chaque fin de phrase...ça en devient vite exaspérant tout comme ses tenues de notes et ses vibratos à répétition : "without truuuuUUuuuUuuuth…" C’est un argument de plus pour vous procurer la version vidéo du concert car juste l’audio risque rapidement de vous lasser.
Plus grave encore, notre ami James part dans des délires d’interprétation sur Beyond This Life qu’on a du mal à s’expliquer : "Our deeds have travelled fa-aaar" avec le dernier mot lâché en un souffle nonchalamment alors que rien ne le justifie vraiment dans le contexte du morceau... En plus c'est voulu vu qu'il le répète à chaque refrain.
ça peut sembler être un détail mais lorsque ça vous choque dès la première écoute et que vous savez que vous allez vous le taper à chaque fois, ça peut être un motif pour zapper le titre à la prochaine fois, quel dommage.
Arrivé à Dance Of Eternity le showreel de DT, bon nombre de spectateurs se sont levés de leur siège pour se placer debout devant la scène quelques instants. Certains connaissent par coeur le titre et miment les breaks de batterie ou les parties de guitare en l’air.
Sur The Spirit Carries On la ballade fédératrice de DT les smartphones lampes torches allumées se balancent de droite à gauche. C'est l'occasion de voir de très beaux plans sur le public bravo aux cadreurs. Mais que vois-je ? Chose rare ! James sourit ! Ce dernier titre est il faut le dire un des moments forts de tout le concert et il est superbement capté et monté. On s'y croirait. Et ça fait du bien de ressentir ce sentiment oublié de communion avec une foule lors d'un concert.
Sur la fin de Finally Free, Mike Mangini brille particulièrement par ses placements rythmiques audacieux, comptés sur une base certainement pas décimale, tant et si bien qu’on se demande même si ses camarades, qui jusqu’à nouvel ordre n’ont pas de PhD en algèbre vont réussir à le suivre. On assiste d’ailleurs à un petit moment très amusant, judicieusement capté par les caméras, où Petrucci jette un regard un peu perplexe à Mike après que celui-ci vient de sortir un décalage rythmique particulièrement risqué, comme pour lui dire : “frère, c’est marrant mais oublie pas qu’on filme!”
Comme si tout ça ne suffisait pas, DT nous achève avec At Wit’s End et Paralyzed, toutes deux issues de Distance Over Time.
En conclusion, malgré une performance mitigée de James sur la partie SFAM, Distant Memories : Live In London est une bonne sortie de la part de Dream Theater. Sans doute un de leurs meilleurs album/video, un sacré cran au-dessus de Breaking The Fourth Wall ou Live At Luna Park. La réalisation moderne, les choix de plans et de captation cohérents par rapport à la disposition de la salle et de la scène, le montage pertinent et une très bonne prise de son comme un mix très (trop?) propre en font un produit fini de qualité. Toutefois, comme il ne présente quasiment aucune variation par rapport aux versions studios, ou quand il le fait, il s’agit des improvisations maladroites, voire complètement ratées de James, et aussi parce qu’on se priverait de l’attrait visuel du produit (qui reste à notre sens son principal atout), on aurait tort de se limiter à une version audio du package. La version Blu-Ray ou le package complet rendront bien plus justice à ce Distant Memories - Live In London en plus de constituer un cadeau certain pour tout fan de DT à l'approche de Noël (qu'on aura pas volé, cette année).