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Burning Ad Infinitum

Chozo Tull
Journaliste

Crowhurst & Gnaw Their Tongues

Une collaboration cyclopéenne entre deux noms bien connus des scènes noise. A ne pas manquer !
4 titres
Noise / Black Metal
Durée : 35
Sorti le 03/09/2018
4097 vues
CROWN AND THRONE LTD

La scène noise est à la fois large et minuscule. Large, parce qu'il est très facile pour n'importe qui de sortir une piste bruitiste sur bandcamp créée avec des instruments virtuels gratuits. Minuscule car il s'agit encore (et probablement pour encore un certain temps) d'une scène de niche, attirant ceux et celles qui en ont marre des chansons, des paroles, des refrains, et autres béquilles musicales décidément tonales, et qui ont décidé de se jeter à oreilles perdues dans les vagues de bruit tumultueuses de Merzbow, Goth Girl, Nurse With Wound, j'en passe et des plus harsh.
Il ne faut donc pas s'étonner que dans ce microcosme de violence abstraite, les artistes communiquent, s'apprécient et collaborent. Il s'agit le cas de cette galette quatre titres qui voit le légendaire Gnaw Their Tongues allier son black metal jusqu'au-boutiste au drone/noise imposant et inquiétant de Crowhurst, stakhanoviste de la scène (six albums en 2016, un autre en 2018, et une compilation de unreleased l'année d'avant, sans compter les six collaborations de 2014 avec divers artistes ). Et comme la pochette le laisse deviner, il n'y a que peu de place laissée au compromis !

L'album oscille clairement entre un noise dronesque et du BM plus ou moins poli. Ici, pas de harsh noise redoutable ou de power electronics, mais plutôt des soundscapes qui, si ils crissent et hurlent parfois, remplissent un rôle d'arrière-plan plus menaçant que cauchemardesque. Preuve en est la première piste du disque, également la plus calme, \'\'Nothing's Sacred\'\', qui monte lentement en puissance, mais n'atteint jamais le niveau de punition sonore qu'on serait en droit d'attendre d'un Merzbow. Si le choix peut paraître étrange d'ouvrir avec la piste la moins agressive, cela fait sens si l'on considère l'album comme une montée d'intensité de 35 minutes. Les quatre pistes se divisent en effet naturellement en deux arcs : les vingt premières minutes (les trois premiers morceaux) et les quinze dernières (l'ultime composition). \'\'Nothing's Sacred offre une transition naturelle vers un black metal particulièrement lofi. Fans de Dimmu Borgir et autres groupes au satanisme surproduit et clinquant, passez votre chemin : ici, c'est un pur assaut sonore, qui perd d'ailleurs (et c'est un peu dommage) de sa puissance à cause de ce mix à peine digne d'une démo. Encore une fois, le BM de “Speared Martyrs” est adossé à la cathédrale engloutie de drone qui bourdonne en arrière-plan, il ne s'agit pas simplement d'un morceau ultra lo-fi pour la pose - même si on aurait aimé un tout petit peu plus de polish. Après ce changement de style, le disque passe à \'\'The Blinding Fury Of Suffering\'\', la plus franchement harsh noise jusqu'ici, et qui cette fois se mêle bien avec les hurlement en arrière-plan - il y a un véritable sentiment d'enfer, le titre n'est pas une hyperbole, mais là encore, l'absence de rythme donne la part belle au drone et déconcertera peut-être ceux qui cherchent dans les blast beats glacials du genre une catharsis par la vitesse. Mais laissez vos préjugés sur la musique extrême sous le paillasson, fermez les yeux et allongez-vous : vous vous retrouvez en train de faire la planche sur une mer de clous rouillés.

Mais ces trois premières pistes servent presque de prélude à la quatrième - \'\'The Divinity Of Our Great Perversions\'\'. Avec quatorze minutes au compteur, il s'agit de la plus longue composition, et clairement de la plus ambitieuse. Ici, le duo n'a pas honte de ses atours ouvertement metal, et nous sommes récompensés de notre persévérance avec une batterie mise en avant, un kick audible, des guitares en crise d'épilepsie, de la dissonance en veux-tu en voilà, bref, un autel à la divinité mentionnée dans le titre. Le morceau est nuancé et fonctionne très bien non seulement tout seul (il pourrait après tout s'agir d'un EP 1 titre !) mais également en regard du reste du disque, qui en retour fonctionne comme un terrain de jeu pour Gnaw Their Tongues et Crowhurst : à la fois niche et protéiforme, les deux artistes donnent à la fois dans la nuance et dans l'extrême, pour au final livrer un album qui, si il s'adresse évidemment à un public réduit, vaut le détour pour quiconque s'intéresse à la scène - ou à ceux qui voudraient la découvrir !

En plus, l'album numérique est à prix libre (!!) sur Bandcamp. Alors ne vous privez pas, mettez ça dans votre bibliothèque, et à la prochaine insomnie, offrez-vous une bonne demie-heure de psychose lucide.


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