On aurait bien aimé pouvoir accueillir le nouvel album des Valdoisiens de BUKOWSKI dans un contexte légèrement différent. Mais il est bien difficile de passer outre le décès brutal de leur bassiste Julien DOTTEL, dont tout le monde appréciait la gentillesse, l’implication dans sa musique et sur scène, et un certain jusqu’auboutisme anar allié à une accessibilité qui le rendaient tellement attachant, à mille lieues du musicien qui se la pête.
Car se la péter, il était carrément en mesure de le faire –ses camarades de jeu aussi, d’ailleurs – le parcours du trio, devenu quartet par la suite, méritant des éloges. Que de chemin parcouru (et de quelle manière !) depuis le fondateur « Amazing Grace », sorti de nulle part et déjà remarquable de puissance, de groove et d’efficacité !
Malgré un turnover conséquent au poste de batteur, l’arrivée d’un second guitariste (l’excellent Fred DUQUESNE, parti ensuite chez Mass Hysteria, et depuis remplacé par Clément "Knaki" Rateau), de réguliers changements de maisons de disque (incluant l’autoprod), Julien et son frère Mathieu ont maintenu un cap exemplaire en termes de progression musicale. Alignant aujourd’hui cinq (en fait six, désormais) albums tous favorablement accueillis par la critique, ils ont également fait leur preuve sur scène, donnant des sets de plus en plus énergiques (ce concert au Hellfest 2018…dantesque !) et fédérant une fanbase solide.
Aussi était-on amené à s’interroger sur la pérennité du combo à l’annonce du départ de Julien pour le Grand Voyage. L’opus qui nous intéresse ici ayant été enregistré avant ce triste évènement, et après mûre réflexion, il fût décidé de continuer l’aventure, et de sortir ce disque.
Divers termes viendront à l’esprit de l’auditeur au fil des écoutes : surprise, richesse, diversité, mélancolie.
Surprise tout d’abord, car l’écriture évite soigneusement les sentiers battus, et il n’est pas une progression harmonique, un riff, un break, qui ne vienne surprendre l’auditeur et retenir son attention. Rien n’est évident, au sens où l’on pense être emmené sur un thème, et l’on se retrouve sur un autre. Le fait d’éviter dès que possible la structure couplet-refrain-couplet-refrain-pont/solo-refrain rapproche les BUKO du Rock Prog dans la démarche musicale.
Diversité ensuite, car il est difficile de coller une étiquette à la musique produite ici. Sur une base évidemment metal, le quartet pioche aussi bien dans la pop, le rock, l’ambient, l’electro, que dans le slam (le mélancolique et lumineux « Arcus », avec un poignant spoken word en français du rappeur Wojtek) et le rap (sympathique featuring du furibard Tony Rizzotti sur « Vox Populi »…Team Nowhere représente, frère !).
Richesse, car les arrangements font chatoyer les compositions, toutes de puissance et d’émotions, grâce au travail d’imbrication harmonique entre les deux guitares et la basse. Travail souligné par la complémentarité des tessitures de chaque instrument, qui est à porter également au crédit du producteur HK Krauss. La mise en son des compositions rend franchement justice au son des musiciens, avec un remarquable travail des textures et de l’espace.
Mélancolie enfin, car –comme déjà esquissé en introduction de cette revue – flotte tout au long de l’écoute la présence en filigrane de Julien, qui a assuré son poste sur toutes les pistes. Son jeu , le grondement de sa basse, partie intégrante du son des BUKO, sont définitivement présents. Et puis il y a ces hurlements de dément, dont lui seul avait le secret (ceci dit, n’oublions pas qu’à ce niveau, Mathieu en impose également, avec une aisance limite énervante) qui habitent le conclusif « Uncool », et plus discrètement « Breathin’ Underwater ». Et petit à petit, au fil des morceaux, cette sensation de plus en plus palpable, qui finit par prendre au tripes, que Julien nous adresse un ultime signe.
L’immédiateté n’est certes pas le premier mot qui viendra à l’esprit de l’auditeur, à la découverte de l’album. Il faudra en effet plusieurs écoutes pour en apprécier tout le sel. Mais le jeu en vaut définitivement la chandelle, et ce serait presque un crime que de ne pas faire l’effort. Et puis enfin – et la pochette annonce d’emblée la couleur- parce qu’il manque et que ce disque honore sa mémoire…bref, vous m’aurez compris. So long, camarade ! Ceux qui restent ont décidé de continuer l’aventure, et tu peux déjà en être fier !